Le duel de Vérité et de Mensonge
Publié le 23 January 2006 (mis à jour le 30 January 2006) par Nico
Ce conte est conservé sur le Papyrus Chester Beatty n°II du British Museum daté de la XIXe dynastie. Le début ne nous est pas parvenu.
Mensonge réclame à son frère Vérité un couteau merveilleux qu'il lui a prêté, Vérité ayant égaré celui-ci, Mensonge veut se faire rendre justice par le tribunal de la divine Ennéade.
... Mensonge dit à l'Ennéade des dieux :
Que l'on amène ici Vérité, et que ses yeux soient rendus aveugles et qu'il devienne désormais le portier de ma maison .
L'Ennéade agit conformément à tout ce qu'il avait dit. De nombreux jours, après cela, Mensonge ayant levé les yeux pour regarder constata les qualités de Vérité son frère. Alors, il dit à deux des serviteurs de Vérité :
Saisissez-vous de votre maître, et qu'il soit jeté à un lion féroce et des lionnes nombreuses...
Ils le saisirent donc, mais tandis qu'ils le soulevaient, Vérité leur dit :
Non, ne me saisissez pas... trouvez une autre à ma place...
Il semble que la substitution ait pu avoir lieu, le texte est très endommagé.
Après que de nombreux jours encore se furent écoulés, une femme sortit de sa maison avec des servantes, celles-ci aperçurent Vérité, étendu au pied de la colline, rien n'était comparable à sa beauté dans le pays tout entier. Elles se rendirent alors au lieu où se tenait la femme, lui disant :
Viens donc avec nous afin de voir un aveugle qui a été déposé au pied de la colline, qu'on l'amène et qu'il devienne le portier de notre maison.
La femme dit alors :
Qu'on aille donc le chercher afin que je le voie.
Une servante partit et le ramena. Lorsque la femme le regarda, elle ressentit très vivement le désir de lui, car elle avait remarqué qu'il était beau dans tout son corps. Durant la nuit, il coucha avec elle, et il la connu comme un homme viril peut connaître une femme, et cette nuit même elle conçut un petit garçon.
Après de nombreux jours ensuite, elle accoucha d'un fils qui n'avait pas son semblable dans le pays tout entier, il était grand et il avait la façon et la forme d'un dieu. Il fut mis à l'école, là, il apprit à écrire, excellemment, et il pratiqua tous les exercices virils, de telle sorte qu'il l'emportait sur ses compagnons plus âgés, qui étaient dans l'école avec lui. Un jour, ceux-ci lui dirent :
De qui es-tu le fils ? Tu n'as pas de père !
Ils le rendaient malheureux et le tourmentaient :
Tu n'as pas de père !
Aussi l'adolescent parla à sa mère :
Quel est donc le nom de mon père ? Je voudrais le dire à mes camarades, qui me parlent ainsi : "Où est ton père ?" Ces paroles me tourmentant.
Sa mère lui dit :
Tu vois cet aveugle assis près de la porte : c'est ton père.
Elle dit cela en s'adressant à lui. Alors il s'exclama :
Il faudrait commander la réunion des membres de ta famille, et que l'on appelât aussi un crocodile.
L'adolescent alla chercher son père, le fit asseoir sur une chaise, mit un tabouret sous ses pieds, il plaça devant lui des pains, afin qu'il pût manger, et fit en sorte aussi qu'il se désaltérât. Puis il parla ainsi à son père :
Quel est celui qui t'a rendu aveugle, afin que moi je lui fasse réponse?
Son père lui répondit :
C'est mon frère qui m'a aveuglé.
et il conta à son fils tout ce qui était arrivé, celui-ci partit alors pour venger son père.
Il emporta dix pains, un bâton, une paire de sandales, une outre et une épée, il emmena aussi un boeuf de belle apparence. Il se mit en route vers le lieu où se trouvait le gardien du troupeau de Mensonge, et dit au berger :
Prends pour toi ces dix pains, avec ce bâton, cette outre, cette épée et cette paire de sandales, et tu garderas pour moi ce boeuf jusqu'à ce que je sois de retour de la ville.
Après de nombreux jours encore, le boeuf du fils de Vérité ayant passé plusieurs mois avec le berger de Mensonge, celui-ci s'en vint aux champs pour inspecter son troupeau de boeufs. Il aperçut le boeuf laissé par l'adolescent, un boeuf très, très beau d'apparence, et dit à son berger :
Que l'on me donne ce boeuf afin que je le mange !
Mais le berger lui dit :
Il n'est pas à moi, je ne saurai donc te le donner.
Alors Mensonge lui dit :
Vois, tous mes boeufs, ils sont tous en ta possession, donne l'un d'eux au propriétaire de celui-là.
Le jeune homme entendit dire que Mensonge s'était emparé de son boeuf. Il vint aussitôt à l'endroit où se tenait le berger et lui dit :
Où est mon boeuf ? Je ne le vois plus au milieu des tiens.
Le berger répondit :
Tous les boeufs, tous sont pour toi, emmène celui que tu désires.
Le jeune homme dit :
Existe-t-il un boeuf aussi grand que le mien? Quand il se tenait debout dans l'île d'Amon, la touffe de sa queue reposait parmi les papyrus, tandis que l'une de ses cornes était sur la colline de l'Occident, l'autre sur la colline de l'Orient, le Nil en sa crue étant la place de son repos, et soixante veaux étaient mis au monde pour lui quotidiennement.
Le berger lui dit :
Est-il un boeuf aussi grand que celui dont tu parles?
Alors le jeune homme se saisit de lui et il l'entraîna jusqu'au lieu où résidait Mensonge, et il traîna celui-ci jusqu'au tribunal, en présence de l'Ennéade divine. Les dieux dirent au jeune homme :
Ce ne peut être vrai. Nous n'avons jamais vu un boeuf aussi grand que celui dont tu parles.
L'adolescent répondit :
Mais existe-t-il un couteau de la taille de celui qui fut en question? Un couteau dont la colline d'Iar constituerait la lame, les arbres de Coptos le manche, la tombe du dieu en serait la gaine, et les troupeaux de Karoy la ceinture.
Il dit encore à l'Ennéade divine :
Départagez par un jugement Vérité et Mensonge. Je suis le Fils de Vérité et suis venu afin de le venger.
Alors Mensonge fit un serment pour le roi - puisse-t-il vivre, être prospère et en bonne santé! - disant :
Aussi vrai que dure Amon, aussi vrai que dure le royal régent, puisse-t-on retrouver Vérité en vie!
Le jeune homme à son tour fit un serment pour le roi - puisse-t-il vivre, être prospère et en bonne santé ! - disant :
Aussi vrai que dure Amon, aussi vrai que dure le royal régent, puisse-t-on retrouver Vérité en vie...!
On frappera Mensonge de cent coups, et cinq blessures lui seront infligées, ses deux yeux seront crevés et il sera placé en qualité de portier dans la Maison de Vérité.
Ainsi l'adolescent vengea-t-il son père et fut résolu le litige entre Vérité et Mensonge...